"Si quelqu'un veut
venir à ma suite, qu'il se renie lui-même,
qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive." (Lc 9,
23)
La Croix nous la voyons comme un instrument
de torture, de souffrance; Or, elle est le signe du plus bel amour.
Sur elle, Jésus qui est Fils de Dieu incarné, a donné
sa vie par amour et en toute liberté :
"Nul
n'a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis."
(Jn 15, 13)
"Ma vie... personne ne me l'enlève ; mais je la donne
de moi-même." (Jn 10, 18)
Car il est le Bon Berger et
le Berger donne sa vie pour ses brebis.
La Croix nous révèle cet amour par lequel Jésus
nous aime et accomplit en lui l'amour du Père pour nous.
"Comme
le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimé."
(Jn 15, 9)
Nous sommes aimés du même
amour que le Père aime le Fils et que le Fils aime le Père.
Voilà ce que révèle la Croix. A travers l'histoire
de l'Eglise, il y a eu des enseignements sur la souffrance qui était
du masochisme et non de l'amour. On enseignait le mépris du corps,
source de tout péché. Je me rappelle que ma mère
m'a parlé d'un prêtre qu'elle avait bien connu et qui souffrait
beaucoup. Un paroissien, un jour, lui dit : "Monsieur
le curé, comme vous souffrez !" "C'est parce que Dieu
m'aime trop !...répondit-il. "J'avais quatre
ans quand ma mère m'a raconté cela. Je me rappelle de
cette réponse car elle m'avait choqué. Il me semblait
que lorsqu'on aimait beaucoup quelqu'un, on ne pouvait le faire souffrir.
Il est vrai que dans mon enfance, il fallait faire des sacrifices, beaucoup
de sacrifices pour aller au paradis. Est-ce ce que Dieu nous demande
? Ne serait-ce pas plutôt des actes d'amour ?... Si le sacrifice,
c'est d'abord se priver, il peut être vide de sens. Très
vite j'ai réalisé que s'il devient un acte d'amour, il
n'est plus une privation car il nous enrichit de Dieu qui est source
de tout acte d'amour vrai.
Etant prêtre, je reçois une maman très heureuse,
une femme de prière et de contemplation. Elle me dit : "Quand
je pense aux femmes qui travaillent en usine ou dans des bureaux et
à mon bonheur à moi d'être bergère. Je
voudrais que Dieu m'envoie une croix à porter pour venir en
aide à toutes ces femmes". Je lui dis :
"Ne demandez pas d'avoir une croix à porter. Elle viendra,
mais ce ne sera pas celle à laquelle vous pensez". Cette femme a déménagé et deux ans après
elle m'écrit : "Vous aviez raison, la croix, je l'ai
et ce n'est pas celle que je voulais. Elle est très lourde
à porter. Priez pour moi".
Il y a quelques années, je reçois un coup de téléphone
: "Voilà, j'ai été guérie il y a
deux ans à Paray-le-Monial. J'étais très heureuse,
mais devant toutes les souffrances que je vois autour de moi, il y
a trois mois, j'ai dit à Jésus : "Jésus
fais que je porte la souffrance du monde. Aujourd'hui, je n'en peux
plus. Je suis totalement épuisée !
" Je lui
réponds : "Pour qui te prends-tu ? Jésus seul a porté la
souffrance du monde. Personne n'est capable sur la terre de le faire ". Tu peux participer à
cette souffrance, mais tu es incapable de la porter.
Le Christ
a triomphé des Puissances par la Croix. (Co 2, 14-15)
Ainsi la Croix est le signe de
la Victoire du Christ sur le péché, sur la mort et sur
Satan. Mais la Croix demeure une folie et un scandale.
"Le langage de la croix,
en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui
se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu." (1 Co
1, 18) "Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale
pour les juifs et folie pour les païens... Car ce qui est folie
de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de
Dieu est plus fort que les hommes." (1 Co 1, 23-25)
Dieu continue de souffrir en
toute personne malade, méprisée, abandonnée, torturée...
Il souffre en toute personne qui n'est pas aimée comme le drogué,
l'alcoolique, le chômeur. (Relire Matthieu chapitre 25 versets
31 et suivants). Tout homme est visage de Dieu. Dieu se reconnaît
en tout visage déformé par la douleur, le handicap, le
mépris. Comment ne pas penser au visage du Christ ?
"Il
n'avait plus figure humaine" (Is
52, 14)
La
Croix est bien dans la vie des hommes, mais pour la majorité,
cette croix est négative, souvent source de révolte. Cependant
pour quelques uns, la croix, c'est-à-dire la souffrance, la maladie,
le chômage, le rejet par les enfants de leurs parents, l'enfant
handicapé, sont une réalité vécue dans la
communion avec le Christ.
Un papa dont l'épouse est souvent en hôpital psychiatrique
me dit, ce que je vis, me fait grandir dans l'amour de Dieu, dans un
abandon à Jésus.
La croix est aussi un appel adressé à tout chrétien,
appel à la réconciliation, à l'unité, à
la paix. Au cours d'une mission en 1947, dans un hameau, un homme avait
préparé une magnifique croix en bois. Il refusait de se
réconcilier avec son frère. Le jour de la bénédiction
de cette croix, souvenir de la mission, le prêtre a rappelé
que pour tous ceux qui viendront chercher de l'eau ou boire à
la fontaine, la croix sera pour tous un appel au pardon, à la
réconciliation, à l'unité, à la paix. La
croix a été plantée au dessus de la fontaine. Tout
un symbole. L'homme s'est réconcilié avec son frère
six mois plus tard. Combien portent sur eux une croix et refusent de
pardonner ? Or cette croix, qu'ils ou qu'elles portent, doit leur rappeler
ce que Jésus a dit sur la Croix :
"Père,
pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font." (Lc 23,
34)
Quand j'ai la foi au Christ Jésus
et que je vois une croix, c'est l'amour de Dieu, son Pardon qu'elle
me rappelle. C'est aussi la certitude de la résurrection, car
la croix me confirme dans cette certitude que la mort est le passage
à la vraie vie. Il faut passer par la mort pour ressusciter !...
Il faut venir à la Croix pour accueillir la vie, le pardon, la
joie de tout donner pour tout recevoir, la joie de se savoir sauvé.
Si "prendre et porter sa croix", c'était tout simplement
prendre, avec amour, sa vie telle qu'elle est chaque jour, avec ses
joies et ses peines, ses souffrances, ses soucis et tout ce que Dieu
donne de vivre ; faire de tout cela un bouquet d'amour, d'humilité
et de don de soi. La Croix, la vraie, n'est jamais celle que l'on s'impose
et qui écrase.
Un jour, recevant une religieuse qui me demandait ce que je pensais
de son désir d'aller vivre dans une petite fraternité
en H.L.M., au lieu de rester avec ses soeurs âgées, je
lui dis : "Ma soeur, aimez-vous Jésus ?"oui !..."
"Alors, que vous soyez en H.L.M. ou avec vos soeurs âgées,
sachez que vous rencontrerez toujours la croix."
La croix, c'est parfois obéir dans
un acte de foi, d'amour et d'abandon. Car la croix est aussi le signe
du dépouillement, du renoncement :
"Père,
non pas ce que je veux, mais comme tu veux."(Mt 26 39)
Prendre
et porter sa croix, c'est aussi accepter l'incompréhension,
le refus, la calomnie, la moquerie des autres parce que nous avons des
dons ou des charismes. Dans ce cas, l'Esprit donne la force de porter
cela avec joie dans la sérénité.
"Heureux êtes-vous,
quand les hommes vous haïront, quand ils vous frapperont d'exclusion
et qu'ils insulteront et proscriront votre nom comme infâme,
à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vous... "
(Lc 6, 22-23, Mt 5, 11)
Sur cette terre, il n'y a pas
que la souffrance du corps, il y a la souffrance intérieure provoquée
par la ''sécheresse'' spirituelle, l'incapacité de prier,
du moins le croyons-nous ! C'est la traversée du désert.
J'ai connu un jeune militaire qui a vécu cela pendant des mois.
Il allait à l'Eglise, commençait le "Notre Père"
et ne pouvait en dire plus. Il était là comme une bûche
devant le Tabernacle. Il restait là, une heure. Dormait-il ou
priait-il ? Il était simplement là, devant Jésus.
Sans doute, Dieu le façonnait, comme le potier façonne
la glaise. Il y a des personnes qui ont une vocation spéciale
pour vivre la croix dans leur vie comme Marthe Robin. Toutes rayonnent
!
L'immense foule de baptisés à travers le monde n'est pas
appelée à l'héroïsme de la souffrance. Pourtant,
que de millions d'enfants, de jeunes, d'adultes sont crucifiés
par la faim, le froid, la misère, le mépris, l'exploitation,
l'absence d'amour. Leur vocation n'est pas d'être victimes des
injustices sociales, ni de la civilisation de consommation car tout
cela est contraire à l'amour, donc à la Croix. D'ailleurs
la souffrance, sous ses formes diverses, n'a jamais de valeur en soi.
Ce n'est pas elle qui nous sauve, mais l'amour de Jésus. Jésus
a fait de sa vie et en particulier de sa passion, le plus bel acte d'amour.
Il n'a pas expliqué la souffrance, ni le pourquoi de la souffrance
ou du mal. Il n'a pas recherché la croix, mais quand elle s'est
présentée, il l'a prise et portée avec amour, afin
de nous sauver tous. "En portant sa Croix, Il portait nos douleurs,
nos maladies, nos peurs, nos angoisses et nos péchés afin
qu'aujourd'hui nous en soyons libérés. Tout cela lui appartient.
"Seigneur tout t'appartient." La croix qui nous est présentée
par Dieu, n'est pas celle qui écrase l'homme, mais celle qui
le met debout pour marcher à la suite du Christ Jésus.
La maladie, la souffrance vécues dans une communion profonde
avec Jésus peuvent devenir une source de vitalité, de
joie, de paix, de rayonnement, d'amour, car :
"Ce n'est
plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi." (Ga 2,
20)
Ce n'est plus moi qui souffre,
c'est le Christ qui souffre en moi. Mais, il ne faut jamais vouloir
souffrir pour souffrir, et nul n'a reçu de Dieu la mission de
faire souffrir les autres ou de se faire souffrir soi-même. La
Croix ne peut être séparé de la Résurrection.
Elle est l'annonce de la Résurrection. Elle est déjà
la Résurrection.
Prendre et porter sa croix, c'est plonger dans
la Résurrection.
Pierre Jarry, prêtre
|